Avez-vous lu le document de consultation du projet de règlement 33-404? Les 20 premières pages ne sont pas tendres envers la profession.

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) risquent en effet d’en faire sourciller plus d’un avec les arguments qui sous-tendent leurs Propositions de rehaussement des obligations des conseillers, des courtiers et des représentants envers leurs clients (33-404).

« Les clients n’obtiennent pas la valeur ou les rendements auxquels ils pourraient raisonnablement s’attendre en investissant », peut-on lire dans le document de consultation. À titre de preuve, les ACVM font état de travaux menés par des chercheurs « au Canada et sur la scène internationale », dont une étude du professeur Stephen Foerster, de la Western University (Ontario). Intitulée Retail Financial Advice: Does One Size Fit All?, celle-ci traite des coûts, des avantages et de la personnalisation des conseils dans les organismes de placement collectif.

« Il n’existe pas de preuve tangible que les représentants apportent une valeur ajoutée parce qu’ils augmentent le rendement. La perte de rendement est largement attribuable aux frais que les investisseurs paient, et non à la faiblesse du rendement des actifs sous-jacents. […] L’investisseur moyen qui commence à épargner pour sa retraite avec un représentant financier lui remet plus du quart de la valeur actualisée de son épargne dès le début », conclut l’étude, citée dans le document de consultation des ACVM.

Pour les Autorités, il en ressort que les professionnels « influent sur les choix des investisseurs en matière de négociation, mais que les résultats de leurs conseils sont nettement inférieurs aux indices d’investissement passif ». Plus particulièrement, « les représentants poussent leurs clients à prendre davantage de risques, ce qui suscite chez eux des attentes plus élevées en matière de rendement ». Toutefois, « ils ne personnalisent généralement pas les portefeuilles en fonction des caractéristiques de leurs clients, mais créent plutôt des portefeuilles très similaires pour tous », ce qui conduit « à se demander pourquoi les conseils ne sont pas plus économiques ».

TROP GRANDE CONFIANCE DES CLIENTS

Sur la base d’une enquête menée en 2015 par la British Columbia Securities Commission (BCSC) et l’Alberta Securities Commission, les ACVM avancent aussi que la relation client-conseiller présente un problème de « confiance et de dépendance trop grandes », qui « créent un décalage » entre les attentes des clients et celles des professionnels « pouvant conduire à des investissements sous-optimaux ».

Évoquant l’étude intitulée National Smarter Investor Study, publiée en novembre dernier par la BCSC, les Autorités indiquent que le niveau très élevé de confiance des consommateurs « pousse certains à poser moins de questions sur la rémunération de leur représentant et à accorder moins d’importance à la lecture de leurs relevés de compte parce qu’ils ne doutent pas qu’il s’occupe de leur argent ».

Les ACVM citent également le rapport Mutual Fund Fee Research, commandé en 2015 par l’Ontario Securities Commission (OSC) au Brondesbury Group et destiné à déterminer si le recours à la rémunération tarifée ou à la rémunération à la commission « change la nature des conseils et influe sur les résultats des investissements à long terme ». Or, soulignent les Autorités, celui-ci « a trouvé des preuves concluantes que la rémunération à la commission crée des problèmes ».

Selon les ACVM, le document préparé pour l’OSC montre que :

  • « les fonds qui versent des commissions (frais d’acquisition et commissions de suivi) ont un rendement inférieur à ceux qui n’en versent pas, qu’il s’agisse du rendement brut, ajusté en fonction du risque ou après déduction des frais »;
  • « les représentants ont tendance à pousser les investisseurs à souscrire des titres de fonds plus risqués »;
  • « les recommandations des représentants favorisent parfois des investissements qui génèrent davantage de commissions pour eux ».

LES POINTS SUR LES I

Si elle affirme « ne pas remettre en question la méthodologie » des travaux mis de l’avant par les ACVM, Marie Elaine Farley, PDG de la Chambre de la sécurité financière (CSF), ajoute néanmoins que « les choses doivent être mises en perspective », car « il existe aussi plusieurs études démontrant que l’apport du conseil est bénéfique pour le client ».

« Dans un texte publié par la School of Public Policy de l’Université de Calgary, Pierre Lortie indique par exemple que le conseil joue un rôle essentiel dans la préparation de la retraite, explique la dirigeante en entrevue avec Conseiller. Des analyses montrent que les familles qui ont utilisé les services d’un conseiller ont vu leur patrimoine s’accroître de façon beaucoup plus importante que les autres. Par ailleurs, deux études du CIRANO et du Conference Board du Canada publiées en 2012 et 2014 concluent que les gens qui ont un conseiller épargnent deux fois plus et sont mieux préparés à subvenir à leurs besoins durant leurs vieux jours. De même, l’Indice Autorité de l’Autorité des marchés financiers a révélé que ceux qui consultent un professionnel possèdent un niveau de vigilance financière plus élevé. »

« Ce n’est pas avec le seul rendement qu’on évalue si le conseil a été bien fait ou pas, insiste-t-elle. Un conseiller, c’est comme un médecin. Il va s’occuper de votre santé financière immédiate et à plus long terme, et voir à votre meilleur intérêt. Il est donc important de le consulter régulièrement. ».

RÔLE POSITIF DÉMONTRÉ

« Dans l’industrie, on s’accorde pour dire qu’un rendement net, aujourd’hui, est compris entre 1 et 3 %. Le plus important n’est donc pas là. Ce n’est pas ce qui fait la valeur ajoutée du conseil », confirme Claude Montmarquette, professeur émérite au Département de sciences économiques de l’Université de Montréal et co-auteur d’une récente analyse de la valeur du conseil financier.

« Ce qui prime avant tout, ajoute le PDG du CIRANO (Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations), c’est que en cas de situation économique difficile, un professionnel aidera son client à conserver son sang-froid et à l’empêcher de tout envoyer balader, qu’il lui permettra de mieux diversifier son portefeuille et d’acquérir une meilleure discipline en matière d’épargne. »

Sa conclusion? « Les épargnants qui ont choisi de rester avec leur conseiller depuis au moins 15 ans obtiennent de meilleurs résultats que ceux qui l’ont abandonné en cours de route. La valeur de leurs actifs enregistre une hausse de plus de 170 % par rapport à ceux qui en consultent un depuis seulement quatre ou cinq ans, par exemple. Toute ceci confirme que les conseillers jouent un rôle positif par rapport aux investisseurs. »

INUTILE AU QUÉBEC?

« Les préoccupations soulevées par les Autorités doivent être prises au sérieux, mais il ne faut pas oublier que les conseillers québécois, de par la réglementation, ont déjà l’obligation d’agir dans le meilleur intérêt de leurs clients, précise Marie Elaine Farley. Dans ces conditions, tout comme nous l’avions soulevé en 2013 lors d’une première consultation, la Chambre a des réserves sur les avantages réels d’introduire dans la province une norme de conduite réglementaire d’agir au mieux des intérêts du client, puisque cette norme y existe déjà et qu’elle est appliquée au sein du cadre réglementaire. »

Elle assure que la Chambre « analysera le document des ACVM et y répondra au cours des prochaines semaines ».

Ce qui préoccupe les ACVM

Voici quelles sont les principales préoccupations des Autorités en matière de protection des consommateurs :
Les investisseurs n’obtiennent pas la valeur ou les rendements auxquels ils pourraient raisonnablement s’attendre.
Ce problème est en partie attribuable au libellé de l’obligation actuelle d’évaluation de la convenance au client. Les conseillers qui ne tiennent pas compte de tous les facteurs pertinents, y compris le coût des produits et les stratégies d’investissement (comme le recours au prêt levier ou le choix d’une gestion d’actifs active plutôt que passive) dans leur évaluation peuvent empêcher les clients d’atteindre leurs objectifs de placement.

Il y a un décalage entre les attentes et les obligations.

La plupart des investisseurs supposent à tort que les représentants doivent toujours leur donner des conseils dans leur intérêt, estiment les ACVM. En conséquence, la confiance qu’ils placent en eux et leur dépendance à leur égard sont trop grandes, ce qui donne à certains la possibilité de les exploiter et crée un décalage entre les attentes des uns et les obligations des autres. Les placements peuvent par conséquent ne pas donner de résultats optimaux.

Les problèmes découlant de cette dépendance sont exacerbés lorsque les personnes inscrites :

  • utilisent des titres ou des désignations qui exagèrent leurs compétences ou les services qu’elles fournissent réellement;
  • proposent une gamme limitée de produits ou une gamme de produits exclusifs.

Le risque de conflits d’intérêts est bien réel.

La mise en pratique des dispositions actuelles sur les conflits d’intérêts, comme la déclaration, est, dans bien des cas, moins efficace que prévu, soutiennent les ACVM.

L’information aux clients demeure trop souvent insuffisante.

Dans bien des cas, le cadre réglementaire actuel est moins efficace que prévu pour atténuer le fossé entre les connaissances financières des personnes inscrites et celles de leurs clients. Vu la faible littératie financière de la plupart des investisseurs et leurs difficultés à surmonter leurs préjugés et à appliquer leurs connaissances pour prendre des décisions, de même que la complexité croissante des produits et l’efficacité limitée des activités visant à améliorer l’éducation financière, il devrait revenir aux personnes inscrites de prioriser davantage l’intérêt des clients et de veiller à ce qu’ils comprennent l’information et les conseils qu’ils reçoivent, affirment les ACVM.

Source : 28 juin 2016 | Rémi Maillard | http://www.conseiller.ca/nouvelles/valeur-du-conseil-les-clients-nen-ont-pas-pour-leur-argent-59160